Hommage à Jacques Denis

L’ANGH de nouveau en deuil…Jacques Denis nous a quittés

               Jacques nous a quittés mercredi dernier. C’est avec beaucoup de tristesse que nous avions appris sa maladie il y a quelques semaines. Jacques était un médecin hors normes, un excellent  hépatologue et un membre incontournable de l’ANGH puis de l’A4.

Grâce à lui est né le premier conseil scientifique de l’association qu’il a présidé pendant plus de 10 ans.

Il avait également représenté notre association au conseil d’administration de l’AFEF. Avec lui, nous avons réalisé la cohorte CHANGH sur le carcinome hépatocellulaire. Nous aimions son côté «pas très organisé », voire discrètement «bordélique», mais aussi son humour et sa poésie parfois mélancolique. Son caractère atypique nous surprenait parfois : T-shirts improbables, tongues en hiver, oubli de clés, de portable, allergie profonde à l’informatique et aux boites mails…

          Il aimait le théâtre, le bridge et tant d’autres choses.  Il est parti entouré de sa famille, à qui nous pensons énormément et avec laquelle nous partageons le chagrin d’avoir perdu un ami.

Isabelle Rosa

Présidente de l’ANGH


Cimetière du Père Lachaise, le 30 janvier 2020 

Alexandre Pariente
Ancien chef du Service d’Hépato-gastroentérologie, Centre hospitalier de Pau

Chère famille de Jacques, chers ami –e-s de Jacques,

Jacques, au Père Lachaise où nous sommes réunis pour toi aujourd’hui, sont enterrés Claude Bernard, l’homme qui a découvert la fonction glycogénique du foie, l’organe que tu préférais, et Gabriel Richet, le patron , néphrologue, que tu as sans doute le plus admiré. Il y a aussi La Fontaine, Chopin, la Callas, Sarah Bernardt, Pierre Brasseur, Pierre Dac, Pierre Desproges et quelques autres. Tu aurais pu quitter la vie en plus mauvaise compagnie. Pardonnez-moi de tutoyer encore ainsi Jacques, mais je crois qu’ après leur mort  on peut continuer à discuter avec les gens qu’on aime, et puis c’est plus commode, parce qu’ils ne nous contredisent plus.

Mes camarades m’ont demandé de dire quelques mots à propos de Jacques, parce qu’il était l’un d’entre nous, et pas le moindre. Alors je vais vous parler un peu de nous pour vous parler de lui. Je ne peux pas m’empêcher au passage de remarquer que, parmi les 4 qui ont cet honneur aujourd’hui, je me retrouve seul homme avec 3 femmes (une conception assez jacquienne de la parité). 

Comme vient de la rappeler Bénédicte*, Jacques était un médecin, et un bon ! En 1968, il était au tout début de ses études de médecine. Le vent de liberté et de gaîté collective  qui a alors soufflé ne l’a pas, ne nous a pas, laissés indifférents. La société assez figée, quant aux mœurs et aux rapports sociaux, où nous avions vécu, s’est heureusement et brusquement ouverte. Cependant, cette ouverture n’a pas été si rapide dans les services de médecine des facultés où nous apprenions notre métier, et où nous prenions goût à la recherche clinique et à la transmission. Chaque jour, nous étions de plus en plus persuadés qu’il fallait changer la vie quotidienne à l’hôpital public, être plus près des malades, travailler vraiment en équipe avec les autres soignant(e)s, préférer l’émulation à la concurrence, et en finir avec la hiérarchie pesante, mandarinale, qui dominait encore largement dans les hôpitaux des villes de faculté. Cela nous a naturellement conduits, non sans mal a l’époque (les choses ont bien changé depuis !) dans des hôpitaux généraux où on a mis, chacun de son côté, ces idées en pratique sans que cela soit le fait d’une politique concertée. On s’y est éclatés, en travaillant comme des brutes, parfois en infligeant des contraintes excessives à nos proches.

À la fin des années 80, un petit groupe de gastroentérologues échappés (devrais-je dire évadés ?) de divers services de villes de faculté où on s’occupait de malades atteints de maladies du foie et du tube digestif, et qui exerçaient leur métier dans des hôpitaux publics mais sans attache universitaire, décida de s’impliquer dans   une association de bienfaiteurs,
l’ Association des Gastroentérologues des Hôpitaux Généraux, en plus bref
l’ ANGH.

L’idée était de défendre et de développer, dans le secteur public, hors des facultés, une pratique gastroentérologique de bon niveau, d’encourager contacts et échanges entre ses acteurs, qui étaient dispersés et parfois un peu isolés aux 4 coins de l’hexagone, et d’y provoquer l’éclosion d’une recherche clinique collective, avec le soutien matériel transparent et inconditionnel de l’industrie pharmaceutique. On décida donc d’une rencontre annuelle, sur 48 heures, mêlant communications originales, conférences scientifiques et nouvelles professionnelles ; la première eut lieu à Arles, et le 27ème vient d’avoir lieu à Ajaccio. On y était une petite centaine, on amenait nos conjoints – qui étaient souvent des conjointes en raison du caractère fortement genré de la démographie gastroentérologique de l’époque,
– on travaillait bien, on parlait beaucoup, de tout,  dans les couloirs, au dîner dit de gala du vendredi soir, et on avait souvent un peu de mal à se quitter après le déjeuner du samedi. Unis, oui, solidaires, surement, mais uniformes (rien que ce mot !) certainement pas. A l’ANGH, la diversité n’était pas un vain mot : il y avait des jeunes, des moins jeunes, grands, des petits, des maigres, des enrobés, des chauves, des hirsutes, des extravertis, des taciturnes, des rigoureux, des cool, des organisés et des bordéliques, bref beaucoup d’originaux dont Jacques n’était pas le moindre.

Mes camarades du bureau m’avaient initialement bombardé responsable du comité scientifique : les idées de manquaient pas, l’enthousiasme non plus, on a bossé sans se ménager,  la mayonnaise a pris, et on a rapidement réalisé des travaux collectifs de bonne tenue, présentés dans de bons congrès et publiés dans de bonnes revues. Jacques nous a rejoints, avec le net penchant hépatophile, mais aussi l’originalité intellectuelle –et vestimentaire aussi- qui le caractérisaient : on a eu à l’ ANGH des membres habillés comme le Roi de cœur mais aussi comme l’As de pique ! qui n’a pas vu Jacques présenter (très bien) l’activité annuelle du conseil scientifique vêtu en footballeur (je crois que c’était le maillot du Paris Saint Germain), ou chanter à tue-tête coiffé d’un béret basque et vêtu d’un T-shirt devenu légendaire de l’ANGH, ou bien encore en costume de ville et en tongs, et qui ne l’a pas vu ainsi, donc, a beaucoup perdu !

En 1999 il était devenu le premier président d’un conseil scientifique plus étoffé et structuré (il est vrai que, pour l’organisation, il était très soutenu). A propos d’organisation, Jacques aurait pu faire sienne la définition de Paul Léautaud: après tout, le désordre n’est qu’un ordre inapparent. 

Il a lancé en 2007, notamment avec Isabelle Rosa, une des superproductions de l’ANGH, dont l’acronyme, CHANGH, n’était pas sans évoquer l’éternuement célèbre du capitaine Haddock dans Tintin au Tibet, observatoire qui a réuni en 1 an les observations de près de 1.300 malades atteints de cancer primitif du foie, de loin la première série française. 

Quand l’âge de la retraite a commencé à sonner, la rupture du cordon ombilical a paru franchement douloureuse à un de nos présidents bien-aimés, Olivier Nouel, qui a pris le taureau par les cornes (une métaphore typiquement landaise). En plus de sorties sur le bateau de Bernard Nalet en Méditerranée avec Bruno Bour (où on m’a raconté que Jacques traitait son mal de mer de façon peu conventionnelle), il nous proposa, au fur et à mesure de notre sortie de la population active, de maintenir deux rendez-vous annuels, au printemps et à l’automne. C’est ainsi que naquit l’Association Amicale des Anciens de l’ANGH, en résumé l’ A4 , une association totalement informelle sans statut, sans bureau, une de ces structures anarchiques comme on les aime : ce n’est pas qu’il n’y avait pas de chef, c’est que tout le monde était  chef de tout. On s’est retrouvé notamment à Paris, sur l’île Oléron, dans la baie de Somme. La dernière édition s’est tenue chez nous, en septembre, dans un pays de cocagne aux confins des Landes, du Gers et du Lot-et Garonne, celui du bas Armagnac qui, comme chacun sait ou devrait savoir, est le meilleur terroir de la meilleure eau de vie du monde… Jacques y a mené la vie de château avec la moitié des copains (l’autre couchait chez moi), pas insensible à la douceur du cadre, au charme de l’hôtesse, aux balades, aux plaisirs de la table, aux liquides ingérés avec une modération assez modérée, à la franche déconnade, aux blagues potaches et à la bonne vieille camaraderie. On y a passé un moment merveilleux. On avait bien vu qu’il n’était pas dans sa forme habituelle, mais il m’avait dit avoir probablement identifié la cause de ses troubles et que, au prix de quelques sujétions pénibles mais supportables, les choses devraient s’arranger.  Ça n’a hélas pas été le cas, et on a été comme vous tous saisis par la rapidité de l’évolution de la maladie qui a conduit à sa mort.

Quand je l’ai vu pour la dernière fois à l’hôpital de Corbeil, on a parlé comme d’habitude de tout et de rien, et lui de son dernier rôle au théâtre, celui qu’il n’a pas pu tenir. Ironiquement, il s’agissait de celui du Dr Parpalaid, le médecin généraliste qui cède sa clientèle au Docteur Knock. Knock y dit notamment, parlant des hommes en général : « Leur tort, c’est de dormir dans une sécurité trompeuse, dont les réveille trop tard le coup de foudre de la maladie ». 

 De Jules Romains, je garde une tendresse particulière pour deux autres œuvres dont on n’avait pas discuté avec Jacques : Les copains (c’est pour le film, un peu raté,  qui en a été tiré que Georges Brassens a écrit « Les Copains d’abord »), et « Les Hommes de bonne volonté ». Des copains, des hommes de bonne volonté, c’est ce que, avec Jacques et tous les autres, on a essayé le plus possible d’être, et qu’il sera un peu plus difficile maintenant d’être sans lui. 

Adieu, Notre Jacques.

* (NDLR) Benedicte Lambare,  Chef de Service de Gastroentérologie Centre Hospitalier du Sud Francilien, successeur de Jacques Denis


Un ami nous a quitté…

Je l’avais connu à l’ANGH, au Conseil Scientifique il y a maintenant 20 ans… Lui s’occupait de l’organe noble, le foie. Moi, j’étais plutôt tube.

Jacques était en effet un hépatologue hors normes. Il aurait pu être professeur des hôpitaux mais les hauts placés en avaient décidé autrement. Il avait donc décidé de poser ses valises dans un petit hôpital de banlieue, à Corbeil Essonne, puis à Evry lorsque le regroupement l’en obligeait, ce qui présageait de l’horrible GHT.

Il aimait ses patients, il aimait les études observationnelles de l’ANGH, lui qui était aussi un scientifique, lui qui savait créer, écrire, parler et communiquer.

Il est resté humble tout le temps de sa carrière, la marque des grands médecins et des grands hommes.

Il venait de prendre une retraite méritée, la sale maladie l’a rattrapé, trop tôt, trop vite…

Mon Cher Jacques, tu vas nous manquer…

Guy BELLAÏCHE

Chef du Service d’Hépato-gastroentérologie, Aulnay-sous-bois