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Vie Professionnelle

La coopération entre professionnels de santé : enseignements de l’étranger et perspectives de développement en France dans le cadre des expérimentations de délégation de tâches

2006

Dr Yann Bourgueil
Directeur de recherches IRDES
(Institut de Recherches et de Documentation en Economie de la Santé)
Chargé de mission ONDPS
(Observatoire National de la Démographie des Professions de Santé).

Vie Professionnelle –  2006-07-29 – CF –

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L’organisation du travail dans le champ de la santé, au sein des établissements de soins ou en ambulatoire associe de multiples professions et disciplines (médicales, paramédicales) et différents secteurs (social, médical, juridique). Un processus de soins comme la grossesse et l’accouchement, le traitement pour une hépatite C chronique, l’hémodialyse, le suivi d’un patient diabétique, ou d’un patient insuffisant cardiaque associe de nombreux acteurs parmi lesquels le patient et/ou sa famille jouent un rôle principal. Ainsi peut-on dire que le patient co-construit ou co-produit le processus de soins avec les différents intervenants, nous y reviendrons.

Le fait professionnel dans le champ sanitaire, joue un rôle important dans l’organisation du travail dans la mesure où c’est l’organisation des professions entre elles qui détermine en partie l’organisation du travail et de la répartition des tâches au cours d’un processus de soin.

La profession médicale s’est vue confier au XIXème siècle, le monopole d’intervention sur le corps humain, toute intervention par un acteur non médecin étant qualifié d’exercice illégal de la médecine. Les professions paramédicales sont définies en dérogation à l’exercice illégal de la médecine. Elles ont un champ d’intervention limité, définit en France par des décrets d’activité détaillés, et interviennent sur prescription des médecins. La formation des ces professionnels dure en général trois années, n’a pas d’équivalence universitaire. Le diplôme peut être délivré par le ministère de la santé, le ministère de l’éducation, ou les deux.

Cette organisation générale des professions détermine largement l’organisation du travail au quotidien. Chacun connaît son champ d’intervention, ses limites, et sa position dans un cadre hiérarchique donné. Des ajustements peuvent se faire dans les équipes de soins, en fonction des habitudes, des personnalités, de la confiance acquise ou non et des contraintes de travail (horaires, manque de ressources, besoins des patients). Ces ajustements peuvent aller jusqu’à la délégation le plus souvent informelle de tâches et d’actes médicaux, voire de la responsabilité. Ces pratiques sont vécues le plus souvent comme intéressantes, valorisantes, utiles et performantes par leurs promoteurs mais aussi parfois angoissantes ou conflictuelles car à la limite de la légalité. De ce fait et en l’absence d’une recherche spécifique en ce domaine, elles sont également mal connues, car peu documentées et peu évaluées.

L’analyse de l’organisation des professions dans le champ de la santé à l’étranger montre que la distribution des tâches entre professions, voir l’existence même des professions varie. Ainsi dans le domaine de la vision, le métier d’optométriste qui porte sur l’examen de la vision, voire l’administration de traitements médicaux et chirurgicaux est très développé dans les pays anglo-saxons et n’existe pas en France. De même, la profession de sage-femme qui est une profession médicale dotée d’un ordre et qui a un droit de prescription limité en France a été instaurée seulement depuis 3 ans au Québec.

L’analyse de l’évolution des professions de la santé dans le temps, révèle également un mouvement permanent et dynamique des métiers de la santé, notamment entre les spécialités médicales. Ces évolutions se font sous l’influence des progrès techniques (imagerie interventionnelle en cardiologie, radiothérapie en cancérologie…) des évolutions thérapeutiques mais aussi des évolutions des besoins de santé (vieillissement, obésité, épidémies spécifiques…).

La répartition des tâches et la distribution des rôles entre spécialités médicales et entre professions de santé s’avère être un processus dynamique résultant autant d’un compromis social entre acteurs (professionnels, état, financeurs) que d’une rationalité scientifique s’imposant aux acteurs sociaux.

La spécialisation croissante des savoirs médicaux, la transition épidémiologique illustrée par le développement des maladies chroniques, l’accessibilité croissante de l’information médicale, le poids des dépenses de santé et l’évolution du rapport au travail, constituent autant de facteurs qui donnent une importance accrue à l’organisation des soins et donc qui questionnent l’organisation générale des professions. Le travail d’équipe, le développement des pratiques coopératives, l’information et l’implication du patient apparaissent désormais comme des voies à privilégier pour répondre de manière efficiente aux besoins de soins.

La maîtrise régulière et prolongée des effectifs médicaux par la réduction du numerus clausus de 1973 à 1999 a introduit une situation inédite en France, à savoir la diminution à venir du nombre de médecins et plus encore de densité médicale pour les dix années à venir, même avec un numérus clausus à 7000 constant depuis 2006.

Cette situation et ses conséquences sont étudiées et documentées par l’Observatoire National de la Démographie des Professions de Santé qui a été créé en 2003. Au-delà du dénombrement et de l’observation des professions et de leur répartition, un débat sur la coopération et le transfert de compétences a été lancé en 2003 avec la mission Berland du même nom.

Après un développement de la problématique générale de l’organisation du travail en santé et son lien avec l’organisation des professions, nous présenterons la situation de la démographie des professions de santé en France et plus particulièrement la thématique de la coopération des professions de santé. Après avoir rappelé les conclusions principales de la mission Berland, nous présenterons le processus d’expérimentations de coopérations et de délégation entre professions de santé engagé depuis 2003 et les premières conclusions des travaux disponibles à ce jour.

Nous proposerons ensuite une analyse spécifique au champ de la gastro-entérologie à partir des comptes rendus de l’audition des représentants de la profession réalisée dans le cadre de l’ONDPS des deux projets d’expérimentations spécifiques à la gastro-entérologie ainsi que d’expériences étrangères.

Enfin, en conclusion, nous reviendrons sur les enjeux relatifs à l’évolution des modes d’organisation du travail et des professions de santé en nous plaçant du point de vue des acteurs professionnels, des responsables du système de santé et des patients.