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Hepatologie

BRIC par BRIC

2025

Sarra BEN JEMIA, Dora LIPPAI, Marie Carmen ORITZ, Clothilde SORIANO, André-Jean REMY, Faiza KHEMISSA-AKOUZ

Hépatologie – 11/05/2025 – Cas clinique

Introduction :
Les ictères d’allure cholestatique représentent une situation clinique fréquente mais parfois déroutante en raison de la diversité de leurs étiologies. Ils imposent une démarche diagnostique rigoureuse visant à déterminer l’étiologie et à proposer la stratégie thérapeutique adéquate. Celle-ci peut être complexe et parfois semée d’embûches. C’est ce que ce cas clinique va démontrer.
Cas clinique
Un homme de 27 ans, d’origine caucasienne, sans antécédents médicaux notables, consulte aux urgences pour un ictère cholestatique évoluant depuis dix jours. Il décrit une coloration jaune cutanéo-muqueuse apparue progressivement, associée à un prurit, des urines foncées et des selles décolorées. Il ne présente pas de fièvre, douleurs abdominales ni vomissements. L’interrogatoire ne révèle ni voyage récent, ni contage infectieux, ni consommation d’alcool. En revanche, il a reçu deux cures d’amoxicilline-acide clavulanique dans les deux mois précédents pour des abcès cutanés, et a consommé des compléments « boosters de testostérone » ainsi que des stéroïdes anabolisants. Sur le plan familial, on note des antécédents de cholécystectomie à un âge précoce chez sa sœur et un cousin.
À l’examen : bon état général, apyrétique, ictère cutanéo-muqueux, lésions de grattage, sans signes d’hépatopathie chronique. Le bilan biologique montre une bilirubine totale à 118 µmol/L (conjuguée : 96), des PAL à 260 UI/L (x2 N), des GGT normales (61 UI/L), une cytolyse modérée prédominant sur les ALAT (164 UI/L, x4 N) par rapport aux ASAT (93 UI/L, x2.3 N), avec un rapport ALAT/PAL <2, compatible avec un ictère cholestatique. Les acides biliaires sont élevés à 50 µmol/L. L’imagerie (scanner, BILI-IRM) élimine une obstruction biliaire. Une échographie hépatique ciblée ne retrouve pas d’argument pour un syndrome de LPAC. Les sérologies virales A, B, C et E et les autoanticorps sont négatifs. La ponction-biopsie hépatique montre une cholestase chronique sans cholangite, associée à une discrète nécrose lobulaire et inflammation portale. Un traitement par acide ursodésoxycholique (13 mg/kg/j), cholestyramine et antihistaminique était initié. L’effet sur le prurit était peu efficace les premiers jours. L’évolution biologique montrait une diminution progressive de la bilirubine et des PAL, malgré une élévation transitoire des transaminases (ALAT 280, ASAT 141), suivie d’une amélioration globale du bilan hépatique et du prurit. Deux diagnostics sont suspectés : • Une cholestase intrahépatique récurrente bénigne (BRIC), en raison de l’âge, des GGT normales, de l’élévation des acides biliaires et de l’histologie. • Une hépatite cholestatique médicamenteuse, en lien avec l’amoxicilline-acide clavulanique et les anomalies histologiques. Une recherche de mutations des gènes ABCB11 (BSEP) et ATP8B1 (FIC1) est en cours. Discussion : La cholestase intrahépatique récurrente (BRIC) est une maladie de l’adolescent ou de l’adulte jeune, se manifestant par des épisodes itératifs de cholestase d’une durée de plusieurs jours à plusieurs mois. Sur le plan clinique, on observe un prurit et un ictère, sur le plan biologique, une élévation des paramètres de cholestase ainsi qu’une augmentation des sels biliaires sériques qui s’améliorent le plus souvent spontanément. L’acide ursodesoxycholique dans cette indication semble peu efficace. La poussée cholestatique peut être provoquée par une prise médicamenteuse en raison d’une interférence avec les transporteurs biliaires, d’une régulation modifiée de l’expression des transporteurs biliaires ou d’une cholangiopathie toxique. L’évolution est généralement bénigne avec une normalisation du bilan hépatique et du prurit et l’absence d’évolution vers la cirrhose, cependant une évolution vers une forme plus sévère notamment une PFIC 1 a été décrite ce qui peut rendre le pronostic de la maladie plus réservé. Dans notre cas, les données dont nous disposons actuellement ne nous ont pas permis de trancher s’il s’agit d’une atteinte médicamenteuse ou d’une première poussée d’une BRIC. L’évolution au long cours ainsi que le résultat de l’étude génétique devraient permettre d’affiner le diagnostic et le risque de récidives. Conclusion : Ce cas illustre la complexité du diagnostic d’un ictère cholestatique en l’absence de cause obstructive ou infectieuse évidente. L’association d’une cholestase à GGT normales, d’acides biliaires élevés et d’une histologie non spécifique chez un jeune adulte doit faire évoquer une BRICI (La cholestase intrahépatique récurrente bénigne ). L’exploration génétique ciblée des gènes ABCB11 et ATP8B1 ainsi que le suivi au long cours constituent des éléments clés au diagnostic positif.