Catégories
Gastroenterologie

Les retombées pratiques de CESAME

2010

Laurent Beaugerie, hôpital Saint-Antoine, Paris.

Gastroentérologie –  2010-09-02 – CF –

________________________________

CESAME a atteint son objectif scientifique principal qui était de confirmer et de préciser l’ampleur du sur-risque de lymphomes chez les patients ayant une MICI et recevant des thiopurines. Après ajustement sur tous les autres facteurs, le risque est ainsi multiplié par 5.1 Mais l’étude est allée très au-delà sur l’identification des populations à risque et sur la caractérisation des lymphomes associés aux MICI ou à l’immunosuppression. Principalement, les jeunes hommes (<35 ans) séronégatifs pour l’EBV ont un risque non négligeable en croisant EBV sous thiopurines de développer une lymphoprolifération fatale dans les suites immédiates de la mononucléose infectieuse comme dans le syndrome de lymphoprolifération liée au chromosome X ou syndrome de Purtilo. Il convient donc de tester la sérologie EBV chez les hommes jeunes avant mise sous thiopurines, et discuter un traitement de fond alternatif (monothérapie par anti-TNF) en cas de négativité. CESAME a aussi confirmé que les lésions inflammatoires chroniques intestinales peuvent faire le lit de lymphomes intestinaux au même titre que des adénocarcinomes, comme cela avait été suggéré dans une série de la Mayo Clinic possiblement entachée de biais de recrutement.2
Il existait en France une grande inconnue sur l’ampleur du risque ce cancer colo-rectal (CCR) au cours des MICI, sachant que des études récentes scandinaves suggéraient que ce sur-risque avait disparu avec le temps et l’évolution des traitements. En fait, CESAME démontre avec une grande puissance statistique que le risque de CCR reste doublé au cours des MICI en France en 2004-2007. Néanmoins, nous montrons aussi que ce sur-risque est cantonné aux MICI coliques anciennes et étendues : il convient donc de combattre ce risque sur ce terrain par la surveillance endoscopique et la chémoprévention. Une étude de pratiquée nichée dans les centres universitaires franciliens participant à CESAME a montré que près de la moitié des malades n’étaient pas du tout dépistés, ce qui doit nous inciter à améliorer l’information et la motivation des patients et des gastro-entérologues sur ce point. En termes de chémoprévention, nous avons pu, a à travers une étude cas-témoins nichée dans CESAME, évaluer comparativement l’effet protecteur des 5-ASA et des thiopurines, après ajustement sur les autres facteurs de risque et sur la propension à recevoir les traitements. Chez les patients à haut risque, et surtout dans la RCH, nous confirmons clairement l’effet protecteur des 5-ASA, qui diminuent, comme dans la méta-analyse de Velayos et al., le risque de CCR de moitié. L’effet protecteur des thiopurines, suggéré dans la partie prospective de CESAME,3 n’atteint pas tout à fait dans l’étude cas-témoins le seuil de significativité statistique. En pratique donc, l’intérêt de la chémoprévention par les 5-ASA est incontestable chez les patients ayant une RCH ancienne et étendue, et l’association à un traitement fond par les thiopurines, si ce dernier est nécessaire par ailleurs, est vraisemblablement encore plus favorable.
En vrac, CESAME confirme par une étude nichée que les grossesses menées sous thiopurines ne sont pas à risque particulier de malformations. Enfin, l’étude des cancers de la peau en cours confirme le sur-risque lié aux thiopurines récemment publié,4 et montre que plusieurs cancers surviennent bien avant l’âge habituel, renforçant d’un point de vue pratique l’intérêt majeur de convaincre les patients sous thiopurines de se protéger convenablement du soleil et de montrer leur peau régulièrement aux médecins.

Références

1. Beaugerie L, Brousse N, Bouvier AM, et al. Lymphoproliferative disorders in patients receiving thiopurines for inflammatory bowel disease: a prospective observational cohort study. Lancet 2009; 374:1617-25.
2. Dayharsh GA, Loftus EV, Jr., Sandborn WJ, et al. Epstein-Barr virus-positive lymphoma in patients with inflammatory bowel disease treated with azathioprine or 6-mercaptopurine. Gastroenterology 2002; 122:72-7.
3. Velayos FS, Terdiman JP, Walsh JM. Effect of 5-aminosalicylate use on colorectal cancer and dysplasia risk: a systematic review and metaanalysis of observational studies. Am J Gastroenterol 2005; 100:1345-53.
4. Long MD, Herfarth HH, Pipkin CA, Porter CQ, Sandler RS, Kappelman MD. Increased risk for non-melanoma skin cancer in patients with inflammatory bowel disease. Clin Gastroenterol Hepatol 2010; 8:268-74.