2024
Première auteure: Nawel CHOURAQUI (interne d’hépato-gastro-entérologie rattachée à l’université de Lille).
Personnes impliquées dans la prise en charge de la patiente: Norman DUCATEZ (infectiologue CHV) , Laurie FAVIER (hépato-gastro-entérologue CHV).
Derniers auteurs: Ambroise LALIEU (hépato-gastro-entérologue CHV et Arnaud BORUCHOWISZ (hépato-gastro-entérologue et chef de service, CHV).
Gastroentérologie – 11/05/2024 – Cas clinique
Résumé:
Nous rapporterons ici le cas d’une patiente de 16 ans, Mme T., admise dans notre service de gastro-entérologie pour diarrhée fébrile. L’histoire clinique commence en février 2023 avec l’apparition de douleurs abdominales paroxystiques avant l’émission de selles. Le transit est accéléré avec 3 à 4 selles liquides par jour, sanglantes mais non glaireuses. En 11 mois, la patiente perd 19 kg, passant de 65kg à 46kg. A partir du 10 janvier 2024, Mme T. présente une hyperthermie à 39°C, en plateau, la poussant à consulter aux urgences.
Le bilan biologique des urgences (14/01/2024), met en évidence un syndrome inflammatoire biologique avec une CRP à 142 mg/L sans hyperleucocytose et une anémie microcytaire hypochrome avec une hémoglobinémie à 10,8g/dL.
Cliniquement, la patiente est stable sur le plan hémodynamique, cachectique, et présente une pâleur cutanéo-muqueuse. La palpation abdominale est douloureuse en région péri-ombilicale et hypogastrique. L’examen proctologique retrouve une marisque bipolaire non inflammatoire, ainsi que quatre fissures latéralisées profondes.
Le scanner abdominopelvien avec injection de produit de contraste réalisé aux urgences met en évidence un épaississement pariétal circonférentiel de la dernière anse iléale sur 10 cm de longueur. La graisse péritonéale est infiltrée, associée à un épanchement liquidien pelvien de faible abondance.
A l’arrivée dans le service, le bilan infectieux montre :
– Coproculture et recherche de toxines clostridium difficile du 14/01 négatives.
– PCR Grippe, COVID et VRS du 14/01 négatives, radiographie thoracique sans foyer de pneumopathie ni épanchement pleural.
– Hémocultures aérobies et anaérobies du 14/01, 15/01, 16/01, et 24/01 toutes stériles.
– ECBU du 14/01 retrouvant une leucocyturie stérile.
– Sérologies virales du 16/01 : VHB négative et non vaccinée, Ac antiVHC négatifs , IgM EBV négatif, IgG EBV douteux, IgG VZV positives, IgM et IgG négatives pour le CMV
Une antibiothérapie probabiliste est introduite le 14/01/2024 par CEFTRIAXONE + ORNIDAZOLE pour une durée de 7 jours.
Dans l’hypothèse d’une MICI, les examens suivants sont réalisés :
– Une coloscopie et une EOGD (19/01/24) : ulcérations inflammatoires du duodénum, iléon ulcéré (avec certaines lésions supra-centimétriques) et atteinte inflammatoire pancolique. Des biopsies sont réalisées dont nous communiquerons les résultats plus tard.
– IRM pelvienne (24/01/24) : Trajet fistuleux simple intersphinctérien avec un orifice primaire sur le rayon de 6 heures et un trajet ascendant postérieur médian, borgne. Le trajet fistuleux apparait en hypersignal T2 et diffusion, en faveur du caractère inflammatoire. Absence d’abcès. A noter un épanchement intrapéritonéal pelvien de moyenne abondance.
– Calprotectine fécale du 16/01 augmentée à 1304 µg/g (seuil de positivité : 150 µg/g de selles.)
– ASCA IgA 9.4 UA/ml, igG 15.7 UA/ ml le 16/01, ANCA négatifs
Devant des critères de gravité faisant suspecter une colite aigue grave, et après un bilan infectieux négatif, une corticothérapie est introduite le 19/01. En effet, on retrouve quatre des cinq critères permettant d’évoquer le diagnostic selon le GETAID (hyperthermie à 40 °C, tachycardie FC 115 bpm, hémoglobine à 10,1g/L, CRP 55 mg/L), ainsi que 4 à 6 selles sanglantes par 24H
Malgré une évolution favorable sur le plan digestif après 5 jours de corticothérapie avec diminution du nombre de selles, disparition du sang et des douleurs abdominales, il persiste une hyperthermie > 38,5°C, conduisant à un nouveau bilan infectiologique.
Quelle est la conduite à proposer ? Quelle(s) est(sont) votre(vos) hypothèse(s) diagnostique(s) ?
Bibliographie initiale:
> Recommandations ECCO 2021 (Kucharzyk et al J CColitis 2022 )
> Prévention, diagnostic et prise en charge des infections au cours des maladies inflammatoires de l’intestin (recommandations ECCO 2021)
Commentaires à ne pas faire apparaître dans l’abstract, à destination du jury de l’ANGH:
La colite à CMV constitue une complication et un facteur d’aggravation possible d’une poussée de MICI, mais aussi un diagnostic différentiel à évoquer en cas de poussée inaugurale. Il s’agit alors le plus souvent d’une réactivation virale sous traitement immunosuppresseur qui aggrave alors le pronostic initial de la MICI (risque de mégacôlon toxique et d’augmentation du taux de poussées de la maladie). Dans de rares cas, il peut s’agir d’une primo-infection à CMV, dont le diagnostic est difficile et la prise en charge peu codifiée. Notre cas clinique en est un exemple.
L’évolution du cas clinique est la suivante:
Biologiquement, un syndrome mononucléosique apparait dès le 24/01 (J4 de corticothérapie), date à laquelle une PCR CMV sanguine revient positive à 5 log. Dans le même temps, les résultats des biopsies coliques réalisées initialement nous reviennent retrouvant des signes de colite aiguë avec signes d’infection à CMV associés à quelques marqueurs de chronicité.
On diagnostique donc une primo-infection à CMV avec inclusion virale colique. L’évolution clinique et biologique a été favorable après une semaine de traitement par GANCICLOVIR (poursuivi pour 3 semaines). Nous détaillerons dans la présentation la prise en charge, le suivi ainsi que le bilan des complications de la primo-infection à CMV.
Le cas clinique rappelle l’importance du bilan infectieux au cours d’une colite aiguë évoquant une poussée inaugurale de MICI et l’intérêt de renouveler la recherche d’une infection à CMV en cas d’évolution défavorable (ici hyperthermie) sous corticoïdes.