Catégories
Gastroenterologie

MICI et cancer : données épidémiologiques

2006

Jacques BELAICHE
Service de Gastroentérologie CHU Sart Tilman
4000 Liège ( Belgique)

Gastroentérologie –  2006-07-29 – CF –

________________________________

Dans les pays occidentaux, la prévalence des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) a augmenté de façon significative au cours des dernières décades. L’amélioration des traitements médicaux et chirurgicaux a permis un allongement très significatif de l’espérance de vie des malades atteints de ces affections. Toutefois, les complications à long terme, en particulier le risque de cancer colorectal (CRC) continuent à poser problème. On estime que 2% des CRC de la population en général surviennent chez des patients porteurs de MICI (1), et inversement, la prévalence globale du CRC sur colon de MICI est d’environ 3-4% mais, en cas de pancolite, elle atteint 6%. Globalement, les patients atteints de MICI ont, par rapport à la population générale, un risque 5 fois supérieur de développer un CRC.
Le risque accru de CRC sur colite ulcéreuse (CU) est reconnu depuis longtemps, tandis que dans la maladie de Crohn (MC) il a été démontré beaucoup plus récemment. Plusieurs séries hospitalières et plus récemment des études de population ont clairement démontré que le risque sur pancolite de MC est égal à celui de la pancolite ulcéreuse et que les facteurs de risque associés sont les mêmes.
Le risque de CRC est notamment lié à la durée d’évolution de la maladie et à l’étendue de l’atteinte colique. Ainsi, dans les pancolites sur CU, le risque de cancer est d’environ 2% après 10 ans d’évolution, 10% après 20 ans d’évolution et environ 20% après 30 ans d’évolution (2). Dans les atteintes limitées au rectum le risque relatif de CRC est de 1,7 et de 2,8 en cas de colite gauche.
La durée d’évolution de la maladie joue un rôle très important puisque, en deçà de 8 à 10 ans d’évolution, le risque de CRC est très faible. En revanche, après 10 ans d’évolution, ce risque augment de 0,5% à 1% par an. L’influence de la durée d’évolution sur le risque de CRC est pondérée par l’âge de début de la maladie qui constitue un facteur de risque indépendant : plus la maladie débute à un âge précoce, plus le risque de CRC est grand.
Un autre facteur essentiel de CRC est l’existence d’une cholangite sclérosante primitive (CSP). On estime que 5% des patients atteints de CU présentent également une CSP et que la CSP est associée 9 fois sur 10 lorsque l’inflammation microscopique est prise en compte à une MICI, et plus particulièrement à une CU. Pour cette raison, une coloscopie avec biopsies est recommandée même en l’absence de lésion macroscopique dès le diagnostic de CSP posé. La présence d’une CSP augmente le risque de CRC d’un facteur 5 et ce risque atteint 50% chez un patient présentant une CU évoluant depuis 25 ans.
Comme pour le CRC sporadique, les antécédents familiaux de CRC augmentent le risque d’un tel cancer dans les MICI (3). Dans la CU le risque relatif est de 2,5 et atteint 9,2 si le cancer chez un parent du premier degré est survenu avant l’âge de 50 ans aussi bien dans la CU que la MC.
Le rôle délétère de l’inflammation chronique reste encore débattu même si une étude récente cas-témoin a montré que l’existence d’une inflammation histologique active constituait un facteur de risque indépendant de CRC dans la CU (4). Le pouvoir protecteur potentiel des dérivés du 5-ASA sur le risque de CRC pourrait aussi constituer un argument indirect.
Le rôle de l’iléite de reflux comme facteur de risque indépendant de CRC sur CU doit encore être confirmé.
A coté des facteurs de risque de CRC plusieurs facteurs peuvent au contraire contribuer à diminuer ce risque.
Le traitement d’entretien en continu par 5 ASA dans la CU diminue de 75% le risque de CRC et de 90% lorsque la posologie est supérieure ou égale à 1,2 g/j (5,6). En cas de traitement intermittent le risque ne diminue seulement que de 50%. A coté du traitement, un suivi comportant plus de deux consultations de contrôle par an et une surveillance endoscopique régulière ont été identifiés comme facteurs diminuant le risque de CRC. Des données récentes ont montré que chez des sujets atteints à la fois de CU et de CSP, traités préventivement par acide ursodésoxycholique, le risque de CRC ou même de dysplasie diminuait de 74% par rapport au non traités (7). En définitive, même si la chémoprévention semble jouer un rôle bénéfique sur le risque de survenu de CRC, elle n’influence pas pour le moment les modalités de dépistage et de surveillance de ces malades (8).
En conclusion, le risque de CRC est nettement accru dans les MICI. Ceci est particulièrement vrai dans des sous-groupes de patients porteurs de pancolite, présentant une maladie de longue durée, en cas d’association à une CSP ou d’antécédent familial de CRC. Son diagnostic est souvent difficile et un programme de surveillance optimal reste à définir.

Références
1.Choi ¨PM, Zeling MP. Similarity of colorectal cancer in Crohn’s disease and ulcérative colitis: implications for carcinogenesis and prevention. Gut 1994; 35:950-4.
2. Eaden JA, Abrams KR, Mayberry JF. The risk of colorectal cancer in ulcerative colitis: a meta-analysis. Gut 2001; 48:526-35.
3. Askling J, Dickman PW, Karlen P, Brostrom O, Lapidus A, Lofberg R, Ekbom A. Colorectal cancer rates among first-degree relatives of patients with inflammatory bowel disease: a population-based cohort study. Lancet 2001; 357:262-6.
4. Rutter M, Saunders B, Wilkinson K, Rumbles S, Schofield G, Kammm MA, Williams CB, Price AB, Talbot IC, Forbes A. Severity of inflammation is a risk factor for colorectal neoplasia in ulcerative colitis. Gastroenterology 2004; 126:451-9.
5. Eaden J, Abrams K, Ekbom A, Jackson E, Mayberry J. Colorectal cancer prevention in ulcerative colitis: a case-control study. Aliment Pharmacol Ther 2000; 14:145-53.
6.Velayos FS, Terdiman JP, Walsh J. Effect of 5-aminosalicylate use on colorectal cancer and dysplasia risk: a systemic review and metaanalysis of observational studies. Am J Gastroenterol 2005;100:1345-1353.
7. Pardi DS, Loftus EV, Kremers WK, Keach J, Lindor KD. Ursodeoxycholic acis as a chemopreventive agent in patient with ulcerative colitis and primary sclerosing cholangitis. Gastroenterology 2003; 124:889-93.
8. Itzkowitz SH, Present DH. Consensus conference: colorectal cancer screening and surveillance in inflammatory bowel disease. Inflamm Bowel Dis 2005; 11:314-21.