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Vie Professionnelle

Payer les médecins « à la performance » : une fausse bonne idée ?

2012

Alex Pariente, Jean-Pierre Dupuychaffray (Pau, Angoulême)

Vie Professionnelle –  2012-08-11 – CF –

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Le paiement à la performance (P4P chez les anglophones) a été introduit en 1995 dans les hôpitaux d’anciens combattants étasuniens, en médecine générale en Grande Bretagne en 2004, « testé » sous la forme du « CAPI » (Contrat d’ Amélioration des Pratiques Individuelles) en France par la Caisse Primaire d’ Assurance Maladie à partir de 2008 puis introduit dans la convention médicale signée le 31 Juillet 2011, pour les médecins généralistes et 4 spécialités (dont la gastroentérologie). Il fait partie des « nouvelles » mesures de gestion hospitalières introduites depuis HPST.
L’analyse de la littérature, incluant plusieurs méta-analyses, montre cependant que le P4P n’est pas efficace. En l’absence d’études randomisées, on est obligé d’utiliser des comparaisons historiques ; il est alors essentiel de tenir compte du rythme d’amélioration de la prise en charge des patients avant la mise en place du P4P. Quand cette précaution est prise, on voit que, en médecine générale le P4P n’améliore pas, ou peu et transitoirement les objectifs prédéfinis. Pire, il y a un effet rebond si on arrête le P4P pour tel ou tel critère. Une étude étasunienne récente comparant 252 hôpitaux adhérents à un programme de P4P à 3363 n’y adhérent pas sur une période de 6 ans ne montre aucune différence dans l’amélioration de la mortalité après infarctus du myocarde, pontage coronaire, insuffisance cardiaque ou pneumonie, y compris chez les hôpitaux les moins performants au départ.
Le P4P a de plus des effets pervers : il consomme du temps médical pendant la consultation, il détourne les médecins vers « ce qui paye », fait exclure les « mauvais malades » n’obtenant pas de bons résultats , diminue l’ accès des malades graves à l’hôpital quand un quota est atteint , déplace l’intérêt professionnel vers l’ intérêt financier, peut faire tricher (effets de seuil), augmenter la méfiance vis à vis des caisses (le retour des résultats obtenus ne permet pas d’identifier ses malades ), la méfiance des malades vis à vis des médecins et finalement les mentalités.
Le P4P est très coûteux: outre le supplément de revenus pour les médecins (en moyenne 3000 €/an pour les médecins généralistes adhérents au CAPI), il faudrait compter la très lourde structure informatique de gestion, son entretien, et le coût (en temps et en argent) des inévitables conflits.
Le loup informatique est déjà dans la bergerie. Aux Etats Unis, où l’implantation du dossier médical informatisé (EMR) bat son plein (avec une subvention de 44.000 $ par médecin !), ces systèmes incluent déjà non seulement les systèmes de P4P par indicateur, mais aussi des « outils de décision clinique » (CDS) par situation…De ce genre d’aide à la soumission, il n’ y pas loin.
En conclusion, le P4P n’est au mieux que transitoirement efficace, surtout pour les médecins n’ayant pas un bon score au départ, a un spectre limité, n’a pas été directement comparé à d’autres techniques, est très coûteux, et a des effets pervers risquant de dégrader la relation médecin-malade.
Le P4P n ‘est décidément pas une bonne idée, et ce n‘est pas en le rebaptisant en P4Q (Payment For Quality) qu’on le rendra meilleure. Si on respectait les critères de l’ Evidence Based Medicine, le P4P n’aurait pas l’utilisation de mise sur le marché !