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Gastroenterologie

Un bezoard cocainé.

2023

Aymerik Mage, Florence Skinazi, Caroline de Kerguenec, Zakarya Kebir.
Service d’Hépatogastroentérologie Hôpital Delafontaine 93200 Saint Denis

Gastroentérologie – 29/04/2023 – Cas clinique web

Un patient de 27 ans est amené par la police aux urgences de Saint Denis (93200) le 23 décembre 2022 car il n’arrive plus à manger. 

En effet, il a avalé dix jours auparavant au Surinam 106 capsules de cocaïne bien emballées dans du plastique . Il a ensuite quitté rapidement le Surinam  en avion pour se rendre à Rotterdam. De là, il a été conduit par des amis dans un hôtel à Lille où lui a été donné un traitement laxatif dans l’espoir de récupérer le butin.

Les laxatifs sont restés sans effet. Le patient a vomi environ une dizaine de capsules  mais impossible d’évacuer le reste. 

Se sentant ballonné, anxieux, n’arrivant plus à s’alimenter ni à aller à la selle, le patient a préféré se rendre  au commissariat de son domicile. 

Il a ensuite été rapidement conduit aux urgences de l’hôpital où le gastroentérologue a été appelé.

La solution !


Le patient est anxieux mais calme, il n’a pas mangé depuis 24 heures car il vomit tout ce qu’il mange. Il ne présente pas de signe de choc.
Cliniquement, on note un empâtement épigastrique, l’abdomen est souple. Le toucher rectal est normal
On l’aura compris ce bizarre bezoard s’apparente, à y regarder de plus près, à une très « classique » occlusion haute.
Un scanner abdomino pelvien est réalisé et retrouve d’innombrables capsules dans l’estomac qui est distendu. Il n’y a pas de capsule dans le grêle ou le colon

En raison du nombre de capsules ingérées, il ne semble pas réalisable de les retirer par voie endoscopique et une extraction chirurgicale est décidée
Une gastrotomie par une courte laparotomie permet d’extraire les capsules de cocaïne qui sont soigneusement comptées
Les suites sont simples et le patient sort rapidement sous surveillance policière puis est pris en charge par la justice.

Les personnes transporteurs de drogues dites « mules » ou body packers sont maintenant bien connues. Les principaux produits concernés par l’emballage corporel sont l’héroïne, la cocaïne et le haschich. Il y a les bodypackers qui introduisent les produits dans un orifice : oreille, rectum, vagin avec des objets ovales mesurant 4 à 6 cm de longueur et ceux qui les avalent , capsules plus rondes, ce qui nécessite d’utiliser des laxatifs, des antispasmodiques pour les évacuer.
Les gastroentérologues sont concernés car souvent appelés pour réaliser des extractions endoscopiques qui sont délicates car menacées par l’ouverture d’un des sachets, d’autant plus s’il n’y a pas d’antidote connu comme pour la cocaïne. Ces corps étrangers contenant la drogue sont de mieux en mieux emballés par les trafiquants (gants en latex, préservatifs et ballons jouets, papier alu) pour éviter les risques de rupture, de surdosage mortel et auss de détection aux frontières. Mais aussi, cela entraine une inertie de leur évacuation surtout si la quantité introduite est importante.
Dans des conditions normales, le passage spontané d’un sachet rempli de drogue à travers le système digestif se produit dans les 30 h (1). Chaque paquet avalé contient en moyenne 3 à 6 g de cocaïne [ 2].  Afin de retarder le temps de transit intestinal, les body packers peuvent délibérément prendre des agents anticholinergiques pour réduire la motilité intestinale. Ils restent à jeun dans l’avion, puis, une fois arrivés à destination, des laxatifs type PEG ou des lavements intrarectaux sont utilisés pour faciliter leur évacuation.
Parfois, comme dans notre cas clinique, les paquets ne sortent pas, c’est alors un tableau d’occlusion haute sur « pseudo bezoard ». L’extraction chirurgicale est alors indiquée (3).

Bibliographie
1 Schaper A, Hofmann R, Bargain P, Desel H, Ebbecke M, Langer C. Traitement chirurgical chez les emballeurs de cocaïne et les pousseurs de corps. Int J Colorectal Dis. 2007 ; 22 :1531–1535. 

2. de Beer SA, Spiessens G, Mol W, Fa-Si-Oen PR. Chirurgie de l’emballage corporel dans la Caraïbe : une étude rétrospective de 70 patients. Monde J Surg. 2008 ; 32 : 281–285. discussion 286–287

3.Pinto A, Reginelli A, Pinto F, Sica G, Scaglione M, Berger FH, Romano L, and Brunese L. Radiological and practical aspects of body packing.  Br JRadiol 2014; 87: 20130500.

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(Vidéo : Zakarya Kebir Service d’Hépatogastroentérologie Hôpital Delafontaine 93200 Saint Denis – Tous droits réservés – Copyright 2023 – )